Mémoire d'enfant

 

Mémoire d'un enfant habitant au Clos Mouttet, quartier de Mon Paradis et fréquentant l'école primaire de Valbertrand à Toulon dans le Var.

Premier bombardement à Toulon et sabordage de la flotte à Toulon. C'était en novembre

1942.

J'avais sept ans, je fréquentais l'école de Valbertrand, un jour qui me paraissait normal, rien de plus ne laissait présager de la suite. Les professeurs nous donnaient les cours comme d'habitude.

Vers les l0h00, une sirène continue suivie de vrombissements sourds, nous fit tourner la tête vers l'extérieur de la classe. En quelques secondes les professeurs, comprenant la situation, nous font sortir dans la cour de l'école. Les yeux levés vers le ciel, on vit plusieurs avions tournoyer en vague comme une envolée de gros oiseaux, laissant entendre un bruit sourd, un ronronnement continu et inconnu dans le ciel.

En toute sincérité, je n'étais nullement angoissé, mon innocence d'enfant me laissait rêveur. Ce remue-ménage me faisait penser à autre chose qu'un bombardement. Puis, soudain, comme des bruits de tonnerre, nous font sursauter. Dans le centre de Toulon, une épaisse fumée monte vers le ciel, c'était impressionnant. Cela a duré peut-être une heure ou plus, je ne me souviens plus exactement. Une fois fini, nous avons réintégré nos classes respectives. Les professeurs, après ce vacarme, se sont hasardés à nous donner quelques explications de ce qui s'était passé. Alors, comprenant cette situation inhabituelle, c'est après que j'ai j'ai connu ma première peur et mes premières pensées allèrent vers ma famille qui était au quartier de Mon Paradis. Si bien que le lendemain pris par une angoisse subite, j'étais rempli d'herpès autour de la bouche. Voilà comment j'ai vécu le premier bombardement de Toulon. Bien entendu, il y en aura beaucoup d'autres.

Nous n'avions pas d'abris pendant ces bombardements. Nous habitions au Clos Mouttet, avenue de Mon Paradis, dans un logement de 2 pièces. Ces logements étaient identiques pour les cinq locataires, les appartements, les uns à côtés des autres, étaient séparés par des cloisons en briques. Dès que nous entendions l'alerte, on se précipitait dans un terrain, sous les pins de la colline Miquel, situé à quelques centaines de mètres juste au-dessus, dont le propriétaire nous permettait d'accéder. Ma mère avait pris l'habitude de préparer un sac en tissus qu'elle avait cousu, dans lequel elle mettait, des tranches de pains grillé, du sucre, de l'eau et bien entendu les papiers. Ce sac était toujours situé près de la porte afin de pouvoir le prendre en partant. On ne savait jamais la durée d'un bombardement.

Il nous arrivait parfois, au travers des pins, d'assister à des combats aériens. Je n'ai jamais vu tomber d'avions mais nous entendions la DCA (Défense anti aérienne) qui tentait d'éloigner les bombardiers. Ces abris de fortune ont duré pendant quelques temps. Puis, les portes du Parc à Mazout, lieu appartenant à la Marine, mais gardés par les sentinelles Allemandes, nous ont été ouvertes et nous avions l'autorisation de rentrer dans ces abris. En fait, c'étaient des puits à mazout profonds d'une quinzaine de mètres, ou était entreposé du carburant pour les bâtiments de guerres. Pour accéder à ces puits, un long couloir de 50 mètres environ avec des armoires métalliques placées tous les 10 mètres, de part et d'autre le long du couloir. Disposées de cette façon ça donnait une protection efficace afin d'éviter des dégâts dans les puits, causés par le souffle d'une ou plusieurs bombes pouvant tomber malencontreusement devant et obstruerait l'entrée. Pour atteindre le fond du puits on avait accès par des escaliers en colimaçon en bois, fabriqués par les employés de l'Arsenal. Cette grande cuve était jonchée de machines-outils et ça sentait le mazout à pleine narine. Même la nuit, lorsqu'il y avait une alerte, nous partions, affolés, vers ces abris de fortune. Parfois l'alerte était donnée alors que les bombardiers vrombissaient déjà sur la ville. Cette nuit-là, il y a eu plusieurs alertes de ce genre. Lorsque nous sommes arrivés dans le fond de ces puits, des soldats Allemands, en armes, montaient la garde et nous surveillaient avec un regard méfiant. Personnellement j'étais très impressionné.

En sortant de notre résidence, juste devant le portail, des bouteilles de gaz étaient disposées et avant que ne commence le bombardement, les soldats allemands, allumaient ces bouteilles d'où en sortait une fumée épaisse pour créer un nuage artificiel au-dessus de la ville pouvant ainsi, désorienter les pilotes des bombardiers. Je me souviens que cette fumée provoquait des brûlures intenses aux yeux et des picotements à la gorge, alors pour éviter ces inconvénients, on se mettait un tissu devant la bouche et le nez, on pouvait alors, presque respirer normalement.

Désorientés, les pilotes larguaient les bombes un peu partout et ainsi elles ne tombaient pas toujours là où le fallait D'ailleurs, plusieurs habitations étaient détruites. Voilà mon souvenir des bombardements que j'ai vécus.

Maintenant, passons au sabordage de la flotte de Toulon. Je me souviens très bien des ces moments. Il était environ 5 heures du matin, nous étions en famille avec mon oncle, le frère de mon père et ma tante, son épouse. Je ne me souviens pas pourquoi, ils se trouvaient là. Sans avertissement des détonations se firent entendre, ce fut la surprise, l'étonnement même par toute la population toulonnaise. Beaucoup de questions se posèrent. Puis, vers lOhOO du matin, là, c'est un souvenir qui me restera à jamais gravé dans mon esprit, de nombreux marins en tenue se présentaient aux portes des habitations pour réclamer des habits civils, car ces fuyards étaient recherchés et poursuivis par les Allemands. Je me souviens très bien de cet instant ou un marin Français se présentait dans la cour de notre logement en criant « habits civils ». Ne sachant quoi faire devant de fait, j'appelais ma mère de toutes mes forces. Ma mère en apercevant le marin comprit la situation et elle revint avec des effets civils appartenant à mon père. Il prit à l'arraché ces vêtements et partit en courant. Quelques jours après ce désastre, mon père décide de descendre en ville, sur le port, voir les dégâts. Pour moi, ce fut une vision de désordre total dans la rade de Toulon, avec tous ces bateaux, coulés, éventrés, abandonnés.

Mon père me fit remarquer un bâtiment de guerre, parmi tant d'autres, un cuirassé, dont l'arrière du bateau enfoui dans le port et l'avant nez relevé vers le ciel, comme voulant adresser une prière au ciel, c'était le Dunkerque. Impressionnant à voir. Une nappe épaisse de graisse, lubrifiant <Je débris de toutes sortes, tout ce que l'on peut imaginer, recouvrait la surface de l'eau dans toute la superficie de la rade. Quant aux immeubles longeant le port, ce n'était que des ruines, une véritable désolation.

Bien d'autres souvenirs me viennent à l'esprit. Dans l'espace du clos Mouttet, un immeuble « le Paul-Thérèse » était réquisitionné par un commandant d'une section de la Wermacht avec ses hommes de troupe. Au clos Mouttet d'autres enfants de mon âge habitaient avec leurs parents. Tous les après-midi vers 16h00, le commandant nous offrait le goûter avec du pain et du beurre et selon les dires de ma mère, ce commandant disait : « J'ai des enfants en Allemagne et je souhaite qu'ils aient le goûter comme vous ». Voilà un beau raisonnement de cet officier qui très souvent devait penser à sa famille, un comportement naturel et humain.

Mais d'autres villas du quartier étaient occupées par les Allemands. Une villa, chez Mme Fumas, située un peu plus vers le haut, à gauche en montant était également occupée. Un jour que je revenais de l'épicerie, il me vint à l'idée de m'arrêter au portail de cette villa. A ce moment là, un soldat allemand sort et me demande dans sa langue ce que je voulais. Je lui réponds du pain « Brot, pain en allemand » parce que on savait quelques mots importants pour se faire comprendre. Il part et revient avec la moitié d'un pain blanc et me le tend. Je le prends et part en courant à mon domicile. Tout heureux, je montre à ma mère le pain et me demande qui me l'avait donné. Je lui réponds, à la villa de Mme Fumas, là où il y a des Allemands. Mais ma mère avait une peur bleue des Allemands et me dit de ne plus m'arrêter pour leur demander du pain. Les jours passèrent et comme j'étais gamin et que je n'avais pas peur et que je ne calculais pas le réel danger. Depuis ce jour-là, je m'arrêtais malgré les recommandations de ma mère, j'avais le pain entier, journalier et j'étais heureux de porter à la maison. Parmi, les soldats, il y en avait un qui jouait du piano et il me fait entrer dans la pièce. Pendant un long moment, j'ai écouté très attentivement son morceau de musique et à la fin de son récital, il m'offrit deux pains blancs. Ainsi tous les jours nous avions le goûter et le pain.

Aujourd'hui, je me dis que tous n'étaient pas des SS et que certains avaient bon cœur pour les enfants.

Les bombardements continuèrent avec autant d'intensité. On s'était habitué. Il n'y avait pas grand-chose à manger, les quelques épiceries ouvertes avaient plutôt leurs rayons vides, les boulangeries très peu de pain qui étaient rationné et ce peu était réservé au client qui avait des tickets. Un jour, ce trouvant à court de tickets, ma mère me dit d'aller chercher du pain chez la boulangerie « Mouttet », propriétaire du clos où nous habitions. La boulangère me demande les tickets mais bien entendu je n'étais pas en mesure de les lui donner. Elle me donna quand même le pain et me recommanda de les lui donner au prochain ravitaillement en pain. Alors, devant ce fait, ma mère m'accompagne chez Mme Mouttet. Pendant le trajet, elle trouve une solution et me recommande de bien répéter exactement ce que ma mère m'avait soufflé pas un mot de plus pas un mot de moins. Devant Mme Mouttet, je lui dis : « J'ai rencontré un petit garçon qui voulait me voler tes tickets, on se dispute et les tickets, dans la bagarre se sont déchirés ». La boulangère a cru à cette fausse histoire et ne nous jamais réclamé les tickets de pain. A un autre moment, ma mère entend dire qu'il y avait de la confiture à l'épicerie. Il faut préciser que pendant cette période de restriction, on communiquait beaucoup entre voisin, surtout en matière de nourriture. On me demande donc, d'aller chez l'épicière, Jeannine, pour acheter cette confiture, c'était de la confiture de figues. Sur le chemin du retour à la maison, je regarde le pot et je me laisse emporter par la gourmandise. Lentement, je trempe mes petits doigts dans le pot et commence à déguster les figues. Chemin faisant, en arrivant à la maison, je donne le pot à ma mère et elle s'aperçoit qu'il était presque vide. Ma mère m'interroge : « Jeannine t'a donné que ça ? ». Je lui réponds « Oui !». Allez savoir, elle ne m'a pas cru et a très bien compris, d'une part, en voyant mes mains et le tour de la bouche pleine de confiture, qu'il n'y avait aucun doute, c'est moi qui avais tout mangé. Je n'ai pas eu droit à la fessée comme en temps normal mais je l'aurais largement méritée, car ma mère avait très bien compris que j'avais faim et qu'avec mes yeux d'enfants, je n'ai pas pu résister à la tentation.

Vous allez dire que je ne parle pas souvent de mon père. Et pourtant, il avait sa place dans la maison, mais il travaillait à la base d'aviation de Cuers. Il partait très tôt le matin et rentrait tard le soir. Je ne sais pas quelle fonction il avait, mais je peu dire qu'un jour il fut appelé dans le bureau du directeur et des soldats Allemands se trouvaient là, en arme. Un des soldats lui met le fusil sur sa poitrine et l'interroge, ne comprenant pas la langue allemande, mon père demande à être assisté d'un ami, M. Gilet qui lui, comprenait et parlait cette langue. Je ne sais combien de temps a duré l'interrogatoire, mon père fut relâché.

Mais bien plu tard, lorsque j'eus dix-huit ans, javais tout compris. Mon père était résistant et appartenait au groupe FFI. Bien sûr tout ce que je raconte je l’ai appris de ma mère et de mon père. Mais, beaucoup de choses sont encore présentes dans mon cerveau. Les bombardements, le sabordage de la flotte, les abris, les restrictions, etc... Tout est encore bien vivant dans ma tête.

Nous n'avons pas vécu le débarquement de Provence en 1944 car quelques semaines avant le débarquement, les familles nombreuses, à partir de trois enfants, étaient envoyées se réfugier dans la Haute Loire ou dans d'autres secteurs. Nous étions réfugiés à Julliange près de Craponne sur Arzon dans la région de Sembadel, près du Puy en Vêlais. Nous ne sommes restés que quelques mois et revenus après te débarquement du 15 août 1944.

J'avais 9ans. Dans ma famille, il y avait mon frère de quatre ans plus jeune et une sœur de six ans plus jeune. Sur le retour, nous avons emprunté le train jusqu'à Avignon puis, à l'aide de barques retenues par un gros câble, nous avons traversé le Rhône, car le pont Saint Bénézet était détruit et plus rien ne passait Après cette traversée, nous avons pris le train à destination de Toulon. Ce jour-là, il faisait un froid de canard accompagné de pluie et de vent. C'est à ce moment-là que mon frère fut pris de convulsions. Il était enveloppé dans une couverture. Il m'est difficile de me souvenir de la suite donnée à mon frère et des soins qui lui ont été prodigués. Nous voilà de retour chez nous. Rien de changé, nous avons retrouvé notre logement tel que nous l'avions laissé en partant. Il faut dire que nous n'avions pas eu trop le temps de nous occuper de la maison et des affaires laissées à l'intérieur. Après tout est devenu vague dans mes souvenirs.

Louis DUTTO